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Transformer le « retour de la bicyclette » en « fin du système automobile » ?

Les réelles avancées ces dernières années concernant l’usage du vélo sont un signe encourageant, mais notre rapport à l’automobile ne change pas à une vitesse suffisante. Que faudrait-il faire ?

La bicyclette est de retour

Le « retour de la bicyclette » est un levier important pour travailler à la bascule d’un système automobile vers « autre chose ».

« Retour » au sens où l’usage du vélo a été particulièrement massif jusqu’aux années 50 et s’est effondré dans les décennies suivantes. L’automobile, s’installant, a évincé petit à petit l’usage du vélo. Ringardisé, l’utilisation de la bicyclette s’effondrait au milieu des grands plans autoroutiers, du crédit à la consommation, de l’explosion des ventes de voitures et de mobylettes. La pratique s’effondrait en premier lieu en ville, qui concentrait les plans de modernisation (plan de circulations, rocades urbaines, etc.) hostile aux modes actifs (marche et vélo). Le reste du territoire ne devient bientôt qu’un gigantesque circuit de routes, pour abreuver les ZAC, les centres commerciaux, les lotissements excentrés qui se construisent alors… Dans ce second temps, la pratique du vélo disparaît ainsi dans le rural et le péri-urbain, dynamique hélas encore en cours.

Or, depuis le milieu des années 70, il y a un début de tentative d’inversion. Celui prendra réellement effet durant les années 90, dans les villes-centre et en particulier celles équipées d’un tramway (Strasbourg, Grenoble, puis Bordeaux, Nantes). Le fait est également notable en Île-de-France lors des grèves de 95, grèves qui marquent le début d’une politique volontariste de la mairie de Paris.

Le « retour du vélo » comme mode de déplacement est avant tout le fruit de politique d’aménagement du territoire. A travers la création d’aménagements cyclables sécurisés et continus, qui rendent le vélo attractif et compétitif par rapport aux autres modes, dont les transports en commun. Mais aussi à travers des politiques restreignant le stationnement automobile, de modération de la vitesse, de restriction du trafic de transit… En bref, des politiques de « modération de la circulation automobile ».

Pédaler, c’est le début de quelque chose

Nous sommes de plus en plus nombreux à pédaler au quotidien : c’est une bonne nouvelle pour tout le monde.

Pour nous-mêmes, puisque le vélo, c’est la joie. La joie du rayon de soleil qui réchauffe le trajet du matin, la joie du vent dans le dos, la joie d’un échange fugace au feu rouge, la joie de doubler les autos, la joie de pouvoir manger des bonnes choses sans scrupules, la joie du rire d’un enfant dans la caisse d’un vélo-cargo.

Pour la société dans son ensemble, puisque le vélo, c’est une personne en meilleure santé, parfois une voiture de moins en circulation, une place libérée aux heures de pointe dans les transports en commun.

Un outil convivial et low-tech, en voie de disparition, ressurgit, avec une foule d’adepte et de militants. Il sort du corner contestataire. Phénomène intéressant, non ? Signe d’espérance, peut-être ? Signe que la plongée technicienne n’est pas forcément à sens unique ? Si le vélo « revient », c’est que malgré le caractère totalitaire de la voiture, il reste un peu d’espoir.

Nous pouvons faire en sorte que ce « retour » de la bicyclette ne soit pas que un simple caillou emporté par le courant du système automobile mais un solide roc qui vient faire dévier l’histoire.

ll y a urgence à renverser le système automobile

Car il y a urgence à changer l’état de la mobilité, dans les pays dits développés principalement, mais pas que. Et en particulier chez nous, en France. Quelle urgence ?

Urgence climatique d’abord : les transports représentent plus du tiers des émissions de gaz à effet de serre. Au moins la moitié de ce tiers est directement liée à l’usage de la voiture individuelle. Mais le reste est inextricablement lié à ce que l’automobile à fait aux territoires. C’est parce qu’il y a des routes partout, parce que la voiture a dévitalisé les commerces et rendu accessibles les zones commerciales qu’il nous faut bouger de plus en plus de marchandises, qu’il nous faut partir de plus en plus loin pour être dépaysés, etc. Or contrairement aux fables techno-enthousiastes, il est illusoire d’espérer une décarbonation totale des énergies dans les transports motorisés.

Urgence écologique, globalement : la voiture et son monde sont coupables d’un écocide gigantesque. À travers la pollution de l’air, dont on sait chaque jour un peu mieux comment elle tue à petit feu. À travers les ruptures d’écosystèmes que provoquent les routes. Mais aussi et surtout parce que le système automobile va de pair avec une artificialisation (pour ne pas dire bétonisation) croissante, et donc la destruction définitive des sols qui pourraient nous nourrir.

Urgence sociale et politique enfin. Pendant un temps, l’accès à l’automobile a pu être perçu comme une égalisation des conditions sociales, une forme de progrès pour chacun. Il ne faut pas le nier : l’automobile et son monde ont ouvert les horizons de nombreuses personnes isolées dans la civilisation paysanne. Mais cette période est bien terminée en occident. Aujourd’hui, le système automobile, c’est une injonction à bouger, bouger vite, bouger loin, bouger souvent, et c’est l’ostracisation pour les personnes exclues du club des motorisés. Le système automobile, c’est une violence imposée, par beaucoup, à tous.

Il y a urgence à proposer un autre horizon aux enfants et aux jeunes que celui d’un espace public dévolu à la puissance motorisée. Un autre horizon que des rues dont la seule fonction est d’être des tuyaux à véhicules.

Il faut être stratège pour réussir

Le vélo peut contribuer à renverser le système automobile à condition d’être lucide sur le caractère de la lutte. À condition d’être stratège. À condition de n’être pas aveugle aux causes et conséquences sociales de nos actions et nos discours. Parce que nous ne réussirons à construire « autre chose » qu’ainsi.

De nombreux ouvrages existent pour formuler les mêmes constats, soulever les mêmes problèmes, et formuler ce que le politique, ou les individus, devraient faire « à la place » de ce qu’ils font actuellement. Les solutions politiques pour offrir une mobilité soutenable à tous existent en théorie. Mais malgré le travail de ces urbanistes, économistes, écologistes, force est de constater que nous n’y sommes pas.

Malgré l’intégration par l’industrie automobile de nouvelles normes, malgré de nouveaux discours plus soucieux de la qualité de l’air, des émissions de gaz à effet de serre, malgré un engouement populaire pour la pratique du vélo, malgré les grandes déclarations (parfois sincères) des maires ou des ministres, avons-nous vraiment changé de trajectoire sur les transports, et plus précisément sur la place de l’automobile ? Non. L’automobile continue à exercer une domination mortifère.

Nous ne devons pas nous endormir, les signaux encourageants d’aujourd’hui ne sont pas les preuves d’un revirement systémique. L’occident a déjà vécu un « Bike boom » ayant fait pschitt, au début des années 1970. Un épisode documenté par le journaliste Carlton Reid pour la partie américaine, mais qui a concerné une majeure partie de l’occident dans la période précédant et suivant le premier choc pétrolier.

Que voulait donc dire André Gorz quand il disait en 1973 :

« Il faudra une révolution idéologique (« culturelle ») pour briser ce cercle. » ?

Car la question qui reste, la seule qui vaille au fond, est la suivante : quel sera le trajet entre aujourd’hui et le monde que nous désirons confusément ? Que faire ? Que mettre en œuvre ?

Le vélo devrait suffire…

C’est ce à quoi veut s’évertuer ce blog.

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