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Avons-nous gagné la bataille du vélo ?

Les récentes avancées en faveur du vélo sont-elles le signe d’une victoire définitive contre le tout-automobile? A la lumière des Gilets jaunes, rien n’est moins sûr.

Avons-nous commencé à réduire nos émissions de gaz à effet de serre ? Non. Avons-nous commencé à réduire l’utilisation des pesticides ? Non. Ou à enrayer l’érosion de la biodiversité ? Non.

Les raisons d’être optimiste manquent cruellement. Cette fin de mois d’août 2018, Nicolas Hulot enfonce le clou avec sa démission fracassante, que tout le monde attendait plus ou moins.

Hulot met les pieds dans le plat (Capture de vidéo – France Inter)

L’annonce d’un plan vélo, signe d’un changement de paradigme ?

Pourtant quelques semaines plus tard, malgré (ou à cause de) tous les retards soulevés par le fondateur d’Ushuaïa, le premier ministre himself montait sur une bicyclette et tenait ce discours :

« On peut avoir cent cinquante ans et répondre à des besoins à la fois très puissants, très actuels, aussi bien sur le plan individuel que collectif. […] En France, le vélo ça reste un sport […] et trop rarement un moyen de transport pour faire ses courses ou se rendre à son travail, comme c’est le cas dans des pays d’Europe du Nord pourtant moins passionnés de cyclisme que nous. […] C’est la première fois que l’Etat se mobilise autant pour financer des infrastructures pour le vélo.  »

Ce 14 septembre 2018, Édouard Philippe révélait les grandes lignes du « plan vélo » du gouvernement, à Angers. Flanqué du ministre de la Transition écologique et solidaire, François de Rugy, et de la ministre déléguée aux Transports, Elisabeth Borne, le premier ministre est souriant. C’est historique. Le discours n’est pas splendide en soi, mais qu’importe la sincérité, ce jour-là, le grand public peut entendre de la bouche d’un premier ministre non seulement un panégyrique du vélo mais aussi une analyse consciencieuse des freins à la pratique et les leviers que va mettre en œuvre le gouvernement. De quoi régaler les cyclistes du quotidien qui militent pour que le vélo devienne une solution de mobilité privilégiée, dans une société phagocytée par l’automobile.

Quarante ans de mobilisation semblent enfin payer. Détachant le vélo de son image soit sportive, soit hippie, tout un travail souterrain a fait bouger les esprits. Le discours fait mention de ce travail : la FUB est citée, au moins deux fois. Son baromètre, et sa campagne de matraquage postal, ont visiblement marqué les esprits du gouvernement (Un des grands vainqueurs à l’applaudimètre de ces assises, a été sans conteste, le vélo : 113 000 réponses à l’enquête qu’a lancée la fédération des usagers de la bicyclette […] des centaines de cartes postales que des Français nous ont adressées y compris à moi-même – je les en remercie – pour réclamer un plan vélo à la hauteur de leurs espérances).

Qui aurait crû, seulement 1 an et demi auparavant, obtenir de l’État de tels engagements ? Un État si prompt à financer des aéroports, des autoroutes, des lignes à grande vitesse (LGV), des ports gigantesques… des « Grands projets inutiles ». L’État, coupable, ou complice, du « grand déménagement du monde ».

Pourtant, dans la première séquence du quinquennat, le président Macron avait donné un nouveau cap, une nouvelle priorité : la mobilité du quotidien.

« le combat que je souhaite engager pour les années à venir, c’est celui des transports du quotidien, c’est celui de l’ensemble des mobilités prioritaires à mes yeux. En quelque sorte, en venant inaugurer ce grand projet [de ligne à grande vitesse] ce soir et ceux de la journée, je suis en train de vous dire : le rêve des cinq prochaines années ne doit pas être un nouveau grand projet comme celui-là »

Quelle surprise d’entendre, de la bouche d’un centriste, libéral, obsédé par les start-ups et l’attractivité internationale de la France, qu’il faut cesser de rêver des grands projets et un transport rapide à l’échelle nationale, mais se concentrer sur les mobilités du quotidien : allions-nous enfin nous préoccuper des gens lambdas, du domicile-travail, de la dépendance à la voiture ? Dans tous les cas, à travers cette impulsion du président, le vélo s’est imposé comme une évidence dans la stratégie du gouvernement.

L’Histoire semblait prendre un bon tournant.

L’automobile contre-attaque

Le 17 novembre 2018, pourtant, le monde d’avant refait surface.

Il est tout à fait honorable que nous cherchions des solutions pour circuler en polluant le moins possible notre environnement. Mais la hausse des taxes imposée par le gouvernement n’est pas la solution ! Nous sommes déjà dépendants des cours du pétrole, il n’est pas question qu’en plus nous subissions une augmentation des taxes!

Texte de la pétition : « Pour une Baisse des Prix du Carburant à la Pompe ! » Priscilla Ludovsky

Le gouvernement, dans la lignée du précédent, avait prévu une légère hausse de la TICPE, la taxe sur les carburants, en particulier un alignement progressif entre essence et diesel, le diesel étant jusqu’alors fiscalement favorisé alors même que ses effets sur la pollution de l’air sont connus depuis des décennies.

Qui l’avait vu venir ? Une petite grogne de quelques professionnels de la route à propos d’une petite hausse, un pas grand-chose, s’est muée en un gigantesque mouvement populaire, un mouvement inédit depuis mai 68. Bien au-delà d’un sens politique qui échappera probablement à l’Histoire, il faudra a minima retenir les éclats de joie, la sociabilité retrouvée, les misères partagées, et les rêves écrasés se coagulant sur les ronds-points de toute la France.

Il faudra aussi prendre au sérieux le point de départ : la hausse du prix des carburants, à la pompe. Car les “gilets jaunes”, c’est aussi la révolte des prisonniers de la voiture, la révolte de ceux qui ne parlent pas dans les médias, la révolte de celles et ceux que nous connaissons mal. Avouons-le, la révolte de ceux que nous, nombreux écologistes et militants pro-vélo, regardions avec condescendance et un peu de pitié.

Quel tragique retournement de situation : le gilet jaune, ce stigmate des cyclistes isolés dans la jungle automobile, est devenu le symbole de la France périphérique, la France moche des ronds-points, la France des classes moyennes déclassées. A travers l’opposition étonnamment bruyante au passage à 80km/h sur les routes départementales, on décelait des signes d’un malaise étrange. Mais la mobilisation était trop instrumentalisée par une droite faussement populaire pour que nous puissions bien ressentir la puissance de la domination du système automobile.

Ainsi, novembre 2018 fût, 2 mois après l’annonce du Plan Vélo, le dur rappel de notre dépendance collective à l’énergie bon marché, et en particulier notre dépendance à l’automobile.

Renverser le système automobile n’est pas si simple

« Notre » dépendance à l’automobile ? Nous sommes pourtant nombreux à ne pas en avoir, ne pas en vouloir même. Mais à l’échelle collective, « nous » sommes dans le même bateau, que nous le voulions ou non, car nos sociétés sont enserrées dans le Système Automobile.

De nombreux penseurs, critiques, militants, l’ont déjà dit : l’automobile n’est pas un simple outil de déplacement, elle n’est pas neutre. En se déployant, comme une pieuvre, l’automobile fait système et provoque une transformation profonde des sociétés qu’elle envahit. Elle impose un ordre politique et idéologique particulier. Malgré tous les maux que nous savons directement associer à l’automobile (pollution de l’air, insécurité routière, dépendance au pétrole), force est de constater que nous sommes impuissants. Pire, plus ses critiques se débattent, plus le Système Automobile se durcit. Par exemple au moment des Gilets jaunes. Ou intègre ses critiques (par exemple en inventant « la voiture écolo »).

Ainsi, l’annonce d’un Plan Vélo en 2018 était certes une bonne nouvelle. Mais ce n’était qu’une vague à la surface d’un torrent : ce qu’on voit à la surface, le souci écologique, la hausse significative du nombre de déplacements à vélo, ne doit pas masquer la force du courant profond, marqué par des distances parcourues en hausse constante et une domination automobile bien ancrée.

Les petites victoires auxquelles les militants pro-vélo se raccrochent sont les signes que l’Histoire reste à écrire, en aucun cas ils ne sont la preuve d’une victoire contre l’hégémonie automobile.

Crédits photo mis en avant : Edouard Philippe à Angers – Weelz, Xavier Cadeau

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