ÉTRON, subst. masc. : Matière fécale (de l'homme ou de certains animaux) consistante et moulée.
Dégonfler les pneus des SUV, la dernière issue pour combattre ce fléau ? C’est ce que défendent les « Tyre Extinguishers », un mouvement d’action directe qui trouve un certain succès outre-manche. La part croissante de ces véhicules climaticides et dangereux a suscité de nombreux combats politiques, législatifs en particuliers. Hélas, ces propositions ont peu abouti, ou n’ont pas permis de contrecarrer la dynamique. Qu’est-ce qui cloche ? Quelles sont les raisons de cette aberration énergétique ? Et par conséquent, quelles pourraient être les moyens d’y mettre fin ?
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Les SUV sont mauvais pour les gens et pour la planète
Nouvelle incarnation, polissée, du 4*4, le SUV est une calamité pour le climat et la ville. Il y a au moins 5 raisons de considérer leurs existences comme nuisibles. Je n’entrerai ici pas dans les détails, ils ont été très bien étudiés et décrits par d’autres, notamment par Mathieu Chassignet ou le WWF !
Des véhicules gloutons et climaticides
Moins aérodynamiques, plus lourds, les SUV consomment plus de carburants fossiles qu’une automobile « classique ». Ils émettent donc plus de gaz à effet de serre. Mais la critique vaut également pour les SUV électriques : ils consomment trop par rapport aux services qu’ils rendent. Car le seul argument qui pourrait justifier une telle gloutonnerie, à savoir l’utilité, est balayé par les faits : les SUV roulent sur des routes carrossables, en transportant, au mieux, 5 personnes et des bagages.
Des véhicules polluants
Plus lourd est un véhicule, plus il émet de particules liées au roulement et au freinage, sans parler de la combustion du carburant.
Consommation d’espace
Plus large et long est un véhicule, plus il accapare de l’espace public à son seul usage. Cela entraîne des conséquences en chaine sur la ‘fluidité’ du trafic, les ‘besoins’ en stationnement, et donc sur l’habitabilité de l’espace public.
Sécurité
Lourds, larges, longs, hauts, les SUV présentent des risques beaucoup plus élevés pour les usagers vulnérables. Par exemple, en cas de collision, un piéton a 2 à 3 fois plus de chances de mourir qu’avec une citadine, un break ou un monospace classique.
Verrouillage
Mathieu Chassignet évoque un autre problème intéressant : leur vente aujourd’hui verrouille le marché d’occasion de demain. Il y a un décalage entre le moment où les véhicules neufs, achetés par les ménages les plus fortunés, « ruissellent » sur les ménages modestes. Ces ménages modestes achètent les véhicules disponibles sur le marché d’occasion, donc en partie croissante des SUV. Et c’est sans parler de leurs troisièmes vies dans des pays tiers, comme en Afrique ou en Europe de l’Est.
Mais j’irai encore plus loin : tous les investissements réalisés sur les chaînes de production, dédiés à ce genre de modèle, mais aussi tous les matériaux utilisés pour leur fabrication, sont autant de ressources qui ne seront plus jamais disponibles pour la mobilité sobre de demain. Le développement des véhicules lourds et larges se fait déjà, aujourd’hui, au détriment de véhicules plus sobres (essence ou électrique). Mais quid de demain ? Il faut enclencher la transition demain matin, littéralement. Chaque minute qui passe sans transformation du modèle économique de l’industrie des transports est une minute de trop. Et les SUV vont dans le mauvais sens en s’accaparant du temps, des ressources, de l’espace, dont nous aurons terriblement besoin.
Pourquoi on en est là ?
« C’est la demande ! »
Les dirigeants de l’industrie automobile, leurs lobbyistes, leur télécopieurs médiatiques, voire leurs représentants au gouvernement, sont unanimes : si les SUV se vendent, c’est parce « qu’ils correspondent à une demande forte de la part de nos clients » (Jean-Dominique Senart, alors PDG de Renault devant la Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, le 6 juin 2020).
On peut prendre au sérieux cet argument. Oui, la demande pour des véhicules absurdement gros existe, et son émergence peut s’expliquer par une dynamique de fond. La course en avant symbolique, vers la puissance, vers la sécurité, est cohérente avec la dynamique du système technicien. Par ailleurs, à mesure que le monde s’homogénéise par une consommation de masse, la nécessité qu’ont les individus de se distinguer socialement à travers des biens de consommation prend des airs monstrueux. Enfin, dans un contexte anxiogène, face à l’accélération permanente, l’automobile deviendrait un espace de refuge, de protection, et des véhicules particulièrement gros, haut et lourd, participeraient de ce sentiment.i
On pourrait alors considérer que les responsables de l’industrie automobile n’ont fait que ‘saisir’ cet esprit du temps. Esprit du temps qui nous échappe à nous autres amishs à roues, mais que les industriels et leurs marketeux sentent. Désormais, Ford vend même son pick-up géant en le présentant comme un véhicule dédié aux urbains branchés, un véhicule adapté pour aller boire un cappuccino entre amis en centre-ville…
Écouler l’offre en orientant la demande
Au-delà d’une « demande » spontanée pour ces véhicules, c’est bien vers la publicité qu’il faut regarder. L’industrie automobile est le secteur le plus dépensier en matraquage publicitaire. Près de 1 000 € par véhicule vendu. Avec un tel montant, comment nier que c’est bien l’industrie qui oriente la demande, et pas l’inverse ? C’est une dynamique bien étudiée : l’industrie automobile a développé une multitude de modèles à un moment où les modèles standardisés, comme la Ford T, semblaient atteindre la saturation du marché. La segmentation des modèles visent donc à garantir une accélération du renouvellement du parc automobile, pour créer des débouchés nouveaux à une industrie motivée par le profit.
Produire des véhicules profitables
Il faut donc poser le problème dans l’autre sens. Si les SUV se vendent, c’est parce qu’ils sont produits (oui.). Et pourquoi sont-ils produits ? Une tribune collective des camarades du « groupe d’étude et de recherche sur les véhicules intermédiaires » donne une bonne piste :
« Les SUV (sport utility vehicles, « véhicules utilitaires à caractère sportif ») – 46 % des ventes depuis janvier 2022, selon AAA Data – ne sont pas plus coûteux à construire que les berlines, mais les clients acceptent de les acheter plus cher. »
Ainsi, sans évacuer définitivement le facteur culturel, il semble raisonnable d’affirmer que le facteur principal de l’émergence des SUV, c’est l’offre. A l’échelle du système de production capitaliste, l’industrie automobile (et ses actionnaires) doit créer de nouveaux débouchés, soit parce le marché de l’automobile est déjà saturé, soit afin de capter une plus-value supérieure par véhicule (ou les deux). C’est la même logique qui prévalait dans l’émergence des mini-voitures électriques type Citroën AMI évoquée ailleurs sur ce blog. Les auteur-es de la tribune évoquent d’ailleurs d’autres moyens, utilisés par l’industrie automobile, pour créer de nouveaux débouchés : « les ventes à crédit, les formules de location, le développement des flottes d’entreprise ».
Ainsi, malgré le scandale que leur invasion suscite, ni l’industrie, ni l’État, n’ont cherché à juguler le phénomène ; simplement parce que le phénomène est une nécessité du capitalisme.
Ce qu’on a essayé pour le régler le problème ?
Je disais que la précédente mandature avait offert le spectacle régulier de tentatives de limiter le désastre. En vain. Qu’elles ont été les mesures proposées ou mise en œuvre ?
Interdire la publicité pour les véhicules polluants
L’idée est simple : si on accepte comme un problème la hausse considérable, et injustifiable, de la vente de SUV et autres pick-ups, il faut a minima éviter d’en faire la promotion. C’est l’idée derrière la loi Evin, qui a entre autres interdit la réclame pour les cigarettes. Différents acteurs, dont RAP (résistance à l’agression publicitaire), suggérent donc d’interdire les publicités climaticides en général. Et les publicités pour les véhicules polluants en particulier. On retrouve cette proposition dans un amendement du groupe parlementaire de la France Insoumise au Projet de loi Economie Circulaire de 2019. Le PS, dans un souci pragmatique, proposait a minima un autre amendement, imposant qu’il soit apposé sur la publicité pour les SUV un message « nuit gravement au climat ».
Jugée trop extrême, ou « infantilisante », ou « inapplicable », l’idée avait néanmoins légèrement percé auparavant. En effet, la majorité macroniste avait finalement laissé passer des amendements qui, à défaut de réguler la publicité automobile, obligeait l’affichage de « mentions » sur les messages publicitaires de l’industrie automobile. Quel que soit le véhicule vendu d’ailleurs, sobre ou pas, ils sont mis à la même enseigne. C’est devenu l’Article L328-1 du code de la Route et son arrêté d’application. Les publicités automobiles doivent comporter les messages : « Pour les trajets courts, privilégiez la marche ou le vélo », « Pensez à covoiturer », ou « Au quotidien, prenez les transports en commun ».
Le bonus/malus poids
Autre grande idée, poussée par la société civile, les députés d’opposition et une petite minorité de la majorité précédente : un bonus-malus sur le poids. Sous sa forme traditionnelle, le bonus-malus ne se concentrait que sur les émissions de CO2. Il s’agit ici de pointer plus particulièrement la responsabilité des SUV dans le maintien d’un parc automobile fortement émetteur à cause de l’alourdissement des véhicules. Le dispositif du bonus-malus devait être musclé considérablement, en promouvant l’émergence d’automobiles plus légères, plus sobres – comme recommandé par France Stratégie.
La théorie derrière la mesure est qu’un prix de vente plus élevé dissuadera l’achat. Cette idée sera finalement intégrée par le gouvernement dans la Loi de Finances 2021, mais le malus, d’un montant minime, n’est enclencé qu’à partir des véhicules de 1,8 tonnes. Il est encore un peu tôt pour juger son efficacité. Mais on n’est sans aucun doute loin d’une révolution.
Les arrêtés de circulation anti-4*4
Autre idée : ôter la faculté aux propriétaires des véhicules absurdement gros de rouler dans le maximum d’endroits. Vieille idée qui s’est transformée en une politique publique critiquable, même par les auto-phobes : la ZFE. Boosté par la condamnation par la Commission européenne pour non-respect des normes de pollution de l’air, le gouvernement de 2015 avait fait voter la mise en place de zones à faibles émissions dans les grandes agglomérations, afin de restreindre la circulation des véhicules les plus polluants. Le problème, hélas, c’est que des véhicules neufs, absurdement lourds, etc., peuvent obtenir sans difficulté la vignette Crit’air 0, s’ils limitent les émissions de polluants liées à la combustion de carburant.
Pour le moment, à ma connaissance, il n’y a pas de réglementation locale pour limiter la circulation, ou le stationnement dans l’espace public, des véhicules trop gros. L’exercice serait rendu délicat, par l’existence d’utilitaires ou véhicules adaptés qui seraient concernés par ces mesures.
Les ralentisseurs sont souvent de bons répulsifs à « voitures sportives » (Ferrari et autres sales bêtes), car les pilotes de ces bolides onéreux, avec leur bas de caisse au ras du sol, ont trop peur de les abîmer. Ça ne fonctionne hélas pas avec les SUV.
L’intimidation
Face à la croissance incontrôlée et la quasi-inaction étatique, il reste une dernière chance. C’est la tactique proposée par le mouvement Tyre Extinguishers. L’idée, c’est qu’à défaut d’une régulation, il faut éteindre la demande de SUV « par le bas ». Il faut « faire peur » (évitons le mot « terroriser ») les actuels ou potentiels acquéreurs de SUV, à travers l’action directe, mais surtout à travers la couverture médiatique dont bénéficie l’action directe. Ayant vent d’un danger permanent de voir leurs pneus dégonflés, les personnes qui auraient pu se laisser séduire y réfléchiront à deux fois. Les animatrices et animateurs anonymes du mouvement se réjouissent que la presse automobile se fasse l’écho de leur action, en reprenant cette idée.
Prendre le contrôle de la production
Cette modalité d’action ne se démarque pas tout à fait des précédentes, en réalité. Le point commun entre toutes les mesures évoquées ci-dessus, c’est qu’elles s’intéressent à la ‘demande’. L’intimidation n’est qu’une forme désespérée d’un même projet : faire en sorte que plus personne n’achète de SUV. Et pourquoi pas ? En effet, rendre plus coûteux, ôter les moyens de les promouvoir, restreindre leur circulation voire intimider les propriétaires actuels et futurs, tout cela peut avoir un effet, indéniablement.
Mais, si on prend au sérieux le déterminant principal de l’explosion de vente des SUV, à savoir « l’offre », ou autrement dit « la nécessité (capitaliste) d’avoir de nouveaux débouchés », c’est aussi là qu’il faut s’attaquer. Même l’agence internationale de l’énergie est bien obligé de reconnaître qu’on ne peut pas laisser la logique du profit et du marché prévaloir, on ne peut la laisser dicter le fonctionnement de l’industrie des transports motorisés (et du monde entier, en fait). Le marché est aveugle aux enjeux climatiques, et à tous les autres enjeux. La collectivité a son mot à dire sur la production parce :
- le processus de production impacte tout le monde : les ressources étant finies, on ne peut pas les dépenser n’importe comment, même si vous avez de l’argent pour les acheter et les transformer ;
- les produits impactent tout le monde : les SUV représentent un danger plus important pour tout le monde.
On pourrait donc parler de nationalisation de l’industrie automobile. Ça ne fait plus rêver personne, ça sonne très années 70. L’industrie automobile française a été longtemps en grande partie nationalisée, à une époque où les élites croyaient plus aux vertus de la planification qu’à celles du marché. On pourrait parler « socialisation », qui laisse mieux percer la dimension subversive d’une prise de contrôle par la collectivité au détriment de propriétaires capitalistes. On pourrait a minima instaurer la « co-détermination », en donnant un pouvoir beaucoup plus important aux salarié·e·s face aux actionnaires. Ou un rôle plus important à toutes les « parties prenantes », comme par exemple les représentants d’usagers de l’espace public, de victimes de violence routière, etc.
Mais même sans se poser la question du contrôle ou de la gouvernance, il y a d’autres leviers facilement actionnables. L’industrie est déjà fortement régulée : l’Union européenne émet un ensemble de régulations concernant les moteurs, le pilotage, les catégories, masses et volumes, des véhicules terrestres à moteur. Un véhicule de type M1 (une voiture de moins de 8 places) doit par exemple faire moins de 2,5m de large, 4m de haut et 12m de long (la directive). L’UE a également fixé des objectifs d’émissions (de CO2) par véhicule, mais : 1 – ils sont modulés par le poids du véhicules et 2 – les constructeurs mentent effrontément sur les consommations en situation réelle. Laurent Castaignède, dans son excellent bouquin Airvore propose ainsi de créer de nouvelles catégories de véhicules, M0, dont le poids, les dimensions et la puissance seraient limités (à 1 tonne, par exemple). Mais on peut aussi, à l’échelle européenne actuellement, changer les règles pour les véhicules M1. Un Hummer ne devrait pas pouvoir être considéré comme une voiture particulière.
Tout reste donc à imaginer. Les mesures politiques visant à éteindre la demande ont leur intérêt, mais aussi leur limite. Elles ne règlent le problème que par une forme de ruse de la même pensée qui détermine le fonctionnement des marchés. Les malus et autres taxes ne permettent pas d’ailleurs d’attaquer la course mimétique, telle qu’élaborée par Thorstein Veblen. Il est sans doute temps de s’intéresser à la production elle-même. Et vous, quelles sont vos propositions pour qu’il n’ait pas un SUV de plus dans nos rues ?
i On peut par exemple se référer à cette analyse psycho-culturelle chez Carfree http://carfree.fr/index.php/2022/06/24/suv/