A Grenoble, fin mars, la FUB a vécu une assemblée générale assez extraordinaire. Je vous explique pourquoi et vous partage quelques convictions pour la suite de l’épopée du cœur battant du réformisme vélorutionnaire.
« On va voter le « pour » quand même, pour la photo ». Les bras se lèvent, laissant apparaître un champ de petits cartons colorés comme des fleurs sauvages : les représentant·e·s des associations membres indiquent le nombre de voix dont leur association dispose. Les nouveaux statuts de la Fédération des usagères et usagers de la Bicyclette sont adoptés !
Une assemblée renouvelée pour (enfin) réformer la FUB
Les quelques vétérans de la FUB présents ce jour-là le disent : on n’a jamais vu autant de participants à une Assemblée générale. C’est aussi qu’on n’a jamais eu une FUB aussi grosse : 200 associations en 2017, 500 en 2024. Au-delà du nombre de participants, j’ai le sentiment que les têtes ont changées, il y a de nouveaux visages, et globalement de nouveaux profils.
Pour ma part, j’ai tenu à faire le déplacement en raison de l’ordre du jour : cette réforme statutaire, on en parle depuis un certain temps. Au moins depuis « mon temps ». Membre du Bureau de la FUB entre 2017 et 2021, j’avais initié la réflexion sur plusieurs sujets. Sur les typologies d’adhérents et la clarification du processus d’adhésion, d’abord : avec une notoriété croissante, la FUB commençait à intéresser des acteurs dont l’alignement avec le projet politique de la FUB n’était pas évident… Il fallait clarifier. Sur les ‘prérogatives’ des instances, ensuite : qui décide quoi dans la FUB ? Comment s’assurer d’un processus robuste pour une FUB résiliente aux chocs (conflits internes, départ de personnes) et des instances qui se renouvellent ? L’idée d’une réforme ambitieuse des statuts avait été repoussée : nous avions mille chantiers en parallèle, celui-là pouvait attendre encore un peu. Quelle joie de le voir aboutir enfin, 3 ans après mon départ du C.A. Je n’imaginais pas que ça irait si loin. Mais enfin, tant qu’à faire, pourquoi pas ?
Des collèges d’adhérentes : le plaidoyer au centre
Le cœur de la réforme, selon moi, c’est la création de quatre collèges de structures adhérentes. Avec ces collèges, les statuts rendent explicite la pré-éminence du collège des associations qui mènent un plaidoyer actif auprès des pouvoirs publics – ce qui semblait aller de soi, mais commençait à être bousculé par l’heureuse prolifération d’acteurs de promotion du vélo centrés sur les services, ou d’acteurs faisant du vélo un axe de travail parmi d’autres.
Le cœur de cette réforme avait suscité quelques interrogations à la précédente AG (que j’ai manqué), mais n’a (presque) pas fait l’objet de débat cette année.
Parité, collégialité, des horizons ou une exigence ?
Mais tant qu’à faire, la réforme s’attaquait également au fonctionnement et à la composition des instances de gouvernance, outre l’AG impactée par l’existence de collèges.
Dans les débats préalables à l’AG, j’avais défendu une ambition mesurée sur ces points : il me semblait qu’il fallait ouvrir le champ des possibles et baliser les grandes intentions, sans s’imposer trop de contraintes. Le cœur de la réforme étant déjà un changement conséquent, je croyais (et je crois encore) qu’il est raisonnable de vivre avec des statuts souples avant d’éventuellement graver dans les marbres des pratiques effectives, à savoir un certain degré de collégialité et la parité.
Jusqu’à présent, mon identité d’homme (blanc, CSP+) était contrebalancé par ma relative jeunesse, mes positions politiques et mes contributions à rendre les débats plus vivants et inclusifs. J’ai vieilli, les outils d’animation que j’avais fièrement ramenés sont devenus la norme, et le réseau est de plus en plus mixte en termes de genre : je suis bel et bien devenu un dominant a priori dans cet espace… Il y a un début à tout !
Quelle étrange atmosphère ! La participation (très) modeste aux ateliers de préparation laissait croire 1 – que le sujet ne passionnerait personne, 2 – que les exigences en termes de parité n’allaient pas de soi. Pourtant, la longue matinée du samedi 23 mars a vu des interventions de plus en plus chargées en émotion et en ambition ! De nombreuses voix se sont élevées pour inviter (sinon exiger!) la fédération à être la locomotive des associations membres, voire du monde associatif dans son ensemble, sur ces sujets. Mesurant cette dynamique, j’ai tâché de limiter mes interventions et ma prudence – mais rien à faire, je suis passé, je crois, pour le vieux conservateur de service ! Tant pis, tant mieux. Le CA de la FUB est donc désormais régi par une exigence de parité à la candidature et à l’élection, et n’y a désormais plus que des co-président·e·s. Quels changements fabuleux !
(Je reste un peu amusé par le contraste entre la matinée agitée, et la léthargie qui a suivi le déjeuner, alors même que les sujets présentés par le groupe de travail durant la digestion étaient tout aussi brûlants que ceux du matin. Les dynamiques de groupe, un sujet passionnant !)
Ca va marcher
J’ai une pensée pour le groupe de travail sur les statuts, dont le long travail a abouti dans une forme d’improvisation en dérapage quasi-contrôlé : c’est un exercice fort ingrat !
J’espère que toute la fédération suivra cette impulsion « surprise », que les récalcitrant·e·s qui se sont tu·e·s se laisseront embarquer, et que les statuts seront applicables ! Il y a de très bonnes chances que tout se passe bien, je parie néanmoins sur quelques conflits dans les années qui viennent : conflit d’interprétations des statuts, conflit sur la compréhension de ce qu’est la collégialité dans la pratique, etc. Mais rien d’insurmontable. L’essentiel est ailleurs : la fédération est devenue une fierté pour les plus exigeant·e·s des militant·e·s pro-vélo de ce pays, et c’est source d’espoir !
Sur l’élection du Conseil d’Administration
Pour la première fois depuis fort longtemps, il y avait plus de candidat·e·s (11) que de places au CA (10), tel que prévu par les statuts en fin de vie. À défaut de précision statutaire, le mode de scrutin était le suivant : chaque représentant·e pouvait voter pour jusque 10 candidat·e·s. Cette modalité d’élection est assez classique, mais est également assez perverse. Elle donne une prime à l’inconnu et aux candidatures lisses. Tout l’enjeu est que le minimum de personne possible ne vous élimine, non pas de convaincre une quantité suffisante de gens que vous avez quelque chose à apporter. Si 95 % des gens trouvent que vous avez quelque chose à apporter en tant que membre du CA, mais que 5 % a une opinion négative de vous, vous avez moins de chance d’être élu·e qu’une personne que 100 % des gens n’arrivent pas à juger vraiment. C’est à mon avis très dommageable : une bonne gouvernance bénévole a besoin de personnes avec des convictions (qui ne peuvent jamais plaire à 100 % des votant·e·s), et de personnes expérimentées (et qui ont eu le temps de déplaire à au moins une toute petite minorité).
Quant aux personnes qui composent le CA, je n’ai pas grand chose à en dire. Je suis heureux que Olivier Schneider participe à créer sa propre suite, et j’ai toute confiance dans la nouvelle collégiale pour faire de la FUB un acteur puissant de la nécessaire transformation du système de transports.
Stop au « cycliste »
Une dernière note enfin : j’ai entendu bien trop souvent que nous « défendions les cyclistes » durant les 36h que j’ai passé à Grenoble, au congrès et à l’AG. J’ai déjà exprimé ailleurs (ainsi que dans mon bouquin, lisez-le) tout le mal que je pense du mot ‘cycliste’. Je ne désespère pas que ma croisade sémantique aide le mouvement pro-vélo à assumer son rôle d’avant-garde dans la révolution des modes de vie et modes d’aménager.
Crédit photo mise en avant : Olivier Schneider (himself)